LES CUIVRES

Joël Gilbert, Le Mans, novembre 2000.

1-Introduction, généralités 3

1.1-Les instruments de musique de type cuivre_ 3

1.2- D’un modèle physique simplifié à des simulations sonores 4

2- Les cuivres, des résonateurs acoustiques 7

2.1- Perces et impédances d’entrées de cuivres 7

2.1.1- Perces de cuivres 7

2.1.2- L’impédance d’entrée acoustique 9

2.1.3- Fréquences de résonance et harmonicité 13

2.1.4- Pavillons 15

2.2- Propagation acoustique non-linéaire et « sons cuivrés »_ 19

2.2.1- Propagation acoustique non-linéaire 20

2.2.2- Application aux "sons cuivrés" 22

3- Les lèvres vibrantes 23

3.1- Modèle physique élémentaire de lèvres 24

3.1.1- Le « masque » du musicien, quelques éléments 25

3.1.2- Oscillateur mécanique équivalent 26

3.1.3- Oscillateur mécanique couplé au résonateur acoustique 28

3.2- Analyses de stabilité linéaire appliquées aux cuivres 31

3.2.1- Stabilité linéaire de deux oscillateurs couplés, instabilité de type « flutter » 31

3.2.2- Influence du résonateur et du « masque » sur les seuils 33

3.3- Simulations temporelles 35

3.3.1- Avant-propos 36

3.3.2- Principes et exemples 37

BIBLIOGRAPHIE_ 40

LIVRES_ 41

ARTICLES_ 41

Annexes : (1) Tessiture d’une trompette, (2) Acoustique des pavillons, (3) Propagation acoustique non linéaire.

 

1-Introduction, généralités

1.1-Les instruments de musique de type cuivre

Qu’est-ce qu’un cuivre ?

            Les cuivres sont les instruments de musique à la base d’une formation très populaire en Grande-Bretagne, le « brass-band » (figure 1). La famille des cuivres y est presque au complet, aux exceptions notables de la trompette et du cor présents dans le « quintette de cuivres » (figure 2). A première vue, la famille des cuivres pourrait se définir à partir du matériau constitutif métallique. Le matériau est un alliage à base de cuivre (laiton), utilisé pour ses bonnes aptitudes à la mise en forme. Cette définition n’est pas satisfaisante puisque les saxophones ne sont pas classés parmi les cuivres mais parmi les bois (cf. le cours « Les bois »). Les cuivres ne sont donc pas définis à partir des instruments eux-mêmes, mais à partir de la manière dont ils sont joués : la colonne d’air à l’intérieur du cuivre est excitée par la vibration des lèvres du musicien. Cette faculté de faire vibrer ses lèvres, avec ou sans l’instrument, est la technique du « buzz », technique bien connue des enfants lorsque dès leur plus jeune age ils cherchent à imiter le bruit de la moto ou de la mouche ! Contrairement aux bois à trous latéraux, les cuivres « modernes » n’ont qu’une seule ouverture, à l’extrémité du pavillon, par où le son est rayonné. Ceci n’a pas toujours été le cas, l’ophicléide et le cornet à bouquin (période renaissance) ont des trous latéraux (figure 3)

 

Obtenir une série de partiels harmoniques. 

            Chaque cuivre est constitué d’un tube terminé par une partie plus ou moins évasée, le pavillon. L’adaptation du cuivre sur les lèvres du musicien est réalisée grâce à l’embouchure, pièce métallique de 5 à 10 cm de long. Le contact lèvre embouchure doit être très étanche (pas de fuite d’air latérale) et gêner le moins possible le « buzz » (figure 4). La géométrie interne (la perce) de l’ensemble cuivre embouchure est la caractéristique essentielle de l’instrument quant à son comportement acoustique. Pour un doigté de trompette ou une position de coulisse de trombone donnée, le musicien expérimenté obtient une série de notes (les partiels) se rapprochant d'une série harmonique (par exemple la série harmonique basée sur un si bémol, figure 5). Pour sélectionner une des notes de la série, le musicien configure son « masque » de manière à ce que les lèvres vibrent à la fréquence de la note souhaitée. Nous préférons le terme « masque » au terme « embouchure » également utilisé, ceci pour ne pas confondre avec l’embouchure métallique dont il a été question plus haut (en anglais, la confusion disparaît car il y a deux mots différents à savoir respectivement « embouchure » et « mouthpiece »). Le « masque » est le terme générique qui caractérise la manière dont le musicien configure ses lèvres, ses muscles faciaux, ses dents, sa langue sur l’embouchure et la manière dont il insuffle l’air dans l’instrument.

 

La tessiture complète.

            La série de partiels reposant sur une série harmonique ne permet pas d’obtenir une tessiture par demi-tons complète : le chromatisme n’est obtenu que pour les partiels élevés. La tessiture complète est obtenue grâce à l’adjonction de mécanismes tels que les pistons qui permettent d’allonger le tube principal d’une longueur discrète et ainsi d’obtenir une nouvelle série de partiels. Avec trois pistons ajoutés, le trompettiste possède 8 combinaisons, 8 doigtés, qui lui permettent de couvrir l’ambitus par demi-tons (parmi ces 8 doigtés possibles, 2 correspondent par construction de l’instrument aux mêmes notes, 7 doigtés suffisent pour obtenir le chromatisme complet ; voir annexe 1). C’est le principe retenu pour tous les cuivres à l’exception du trombone pour lequel la coulisse permet d’obtenir un allongement continu du tube principal ; le tromboniste retient 7 allongements particuliers, 7 « positions » (annexe 1)

 

1.2- D’un modèle physique simplifié à des simulations sonores

 

            Après un premier regard du musicien, observons quelques signaux acoustiques générés par ces sources sonores particulières que sont les cuivres. De ces premières observations, un premier modèle physique élémentaire est établi et le plan du document présenté.

 

Observation de signaux de pression.

Dans un premier temps, nous observons des signaux de pression en deux points : (1) le signal de pression dans la bouche d’un tromboniste, (2) le signal de pression rayonné en sortie de trombone (figure 6). Ces signaux ont été enregistrés lors l’émission d’un Fa médium joué durant 1 seconde. Ces deux signaux peuvent être découpés en trois parties : (1) l’attaque de la note (régime transitoire d’une durée de l’ordre de 0.1s sur l’exemple analysé ici), (2) la partie stationnaire correspondant à une surpression constante dans la cavité buccale (régime permanent d’une durée de 0.8s), (3) l’extinction de la note (régime transitoire d’une durée de 0.1s). Si le musicien transforme l’air insufflé dans son instrument en son musical, le physicien définit le système comme un oscillateur auto-entretenu (ou auto-oscillateur) à savoir une « boîte noire » qui transforme un signal d’entrée constant dans le temps (la surpression dans la cavité buccale, 2000 Pa pour le régime permanent du cas observé, en un signal de sortie oscillant (pression acoustique de période 5.7ms et de valeur efficace 3000 Pa). Dans la réalité musicale, les régimes permanents  observés ne sont pas strictement périodiques et à amplitude constante. De fait le musicien génère de fines variations basses fréquences sur l’enveloppe temporelle : soit par des diminuendo et crescendo subtils, soit par des vibratos, … soit involontairement par une maîtrise imparfaite de son instrument. 

 

            Dans un second temps, nous observons les signaux de pression acoustique en différents points (figure 7), à l’intérieur de l’instrument (son interne) et à l’extérieur (son externe ou son rayonné) en effectuant un zoom dans la partie stationnaire des signaux. Si tous les signaux observés ont évidemment la même période, ils sont d’amplitudes très différentes : d’un maximum de 2000 Pa dans l’embouchure à 100 Pa en sortie de pavillon. Par ailleurs, les formes des signaux en différents points de l’intérieur de l’instrument sont très variées, ce qui se traduit par des contenus spectraux également très variés. Le spectre externe est très appauvri en basses fréquences comparativement aux spectres internes. Les différentes observations ci-dessus  permettent de donner quelques conclusions : (1) le champ acoustique interne est très intense avec un fort taux d’ondes stationnaires, (2) une très faible partie du son interne est rayonné vers le milieu extérieur ceci accompagné d’un effet de filtrage passe-haut. Derrière ces deux conclusions se cachent des caractéristiques des instruments à vent, le rôle de source acoustique d’une part, la nature de la source d’autre part. La source acoustique est une source par effet valve : l’air insufflé par le musicien est modulé par l’ouverture variable créée entre les lèvres vibrantes, c’est une source de débit acoustique. Mais l’oscillation auto-entretenue des lèvres (le « buzz ») est favorisée par la contre-réaction acoustique résultant d’un champ acoustique résonant de forte amplitude à l’intérieur de l’instrument. Autrement dit, il y a là un compromis entre un champ acoustique confiné à l’intérieur de l’instrument pour le fonctionnement même de la source acoustique, et le champ sonore transmis vers le milieu extérieur, celui que l’auditeur entendra !   

           

            Pour expliquer les traits essentiels du fonctionnement des cuivres, un premier modèle physique peut être présenté. Comme pour les bois, il s’agit d’un système bouclé à deux éléments : (1) le résonateur (l’instrument lui-même), guide d’onde acoustique fortement résonant, (2) le système excitateur (la source acoustique) localisé au niveau des lèvres du musicien, le système aéroélastique. Ces deux éléments sont couplés par l’intermédiaire de l’air insufflé par l’instrumentiste, la surpression statique Po dans la cavité buccale est le paramètre de contrôle retenu. Sous certaines conditions qu’il s’agira de préciser plus avant, les lèvres peuvent être déstabilisées par l’écoulement. Des vibrations périodiques de lèvres peuvent être obtenues en régime permanent. De par la réaction acoustique du résonateur, les oscillations ont des fréquences fondamentales (hauteur des notes jouées) calées approximativement sur des fréquences de résonance du résonateur acoustique.

 

Plan du document

Après ce chapitre introductif, le chapitre 2 sera entièrement consacré aux résonateurs acoustiques. On s’intéressera en détail au lien qu’il y a entre la perce des cuivres et les fréquences de résonance, pour cela on analysera leur impédance d’entrée dont ces dernières sont extraites. Nous discuterons en détail la propagation acoustique dans les pavillons au chapitre 2.1 (équation de Lagrange-Webster, hypothèses, solutions, limites de la théorie). Une autre spécificité des cuivres par rapport aux bois est l’existence de phénomènes de propagation non-linéaire spectaculaires. Ces phénomènes particulièrement marqués lorsque les musiciens jouent des « sons cuivrés » sont étudiés au chapitre 2.2.

 

Nous verrons comment il est possible d’étudier les lèvres vibrantes au chapitre 3. Observer et analyser le fonctionnement des lèvres du musicien est très délicat à cause … du musicien ! Il est en effet très difficile de maîtriser les conditions de jeu d’un jour à l’autre, ou sur une très longue durée afin d’effectuer les mesures souhaitées par le physicien. Pour contourner au moins partiellement la difficulté, il a été développé des bouches artificielles, systèmes mécaniques se substituant au musicien pour faire fonctionner les cuivres dans des conditions de jeu suffisamment réalistes. Les lèvres sont assimilées à des oscillateurs mécaniques dont les caractéristiques sont associées au « masque » du musicien. En première approximation, le système musicien instrument de musique est assimilé à deux oscillateurs couplés : un oscillateur mécanique (une résonance extraite de la réponse mécanique) et un oscillateur acoustique (une résonance acoustique extraite de l’impédance d’entrée du résonateur). L’analyse de la stabilité linéaire du système dynamique d’ordre 4 équivalent permet de définir un seuil d’oscillation au-delà duquel le système aéroélastique devient instable (chapitre 3.2). Ce type d’approche mène à une analyse du rôle du « masque » sur la mise en vibration des lèvres et donc sur les notes jouées, qui peuvent être simulées numériquement (chapitre 3.3).

 

2- Les cuivres, des résonateurs acoustiques

 

Ce chapitre 2 laissant le musicien dans l’ombre, est entièrement consacré aux instruments eux-mêmes, vu comme des résonateurs acoustiques. Le lien entre la perce (géométrie interne) des cuivres et les fréquences de résonance est discuté dans le chapitre 2 .1. Pour cela des impédances d’entrée de résonateurs variés sont calculées pour des cas d’école, ou mesurées pour des instruments réels. La propagation acoustique dans les pavillons est ensuite présentée brièvement (des détails complémentaires sont rejetés en annexe 2). Des phénomènes de propagation non linéaire présents dans les cuivres lorsque les musiciens jouent des « sons cuivrés » sont discutés au chapitre 2.2.

 

2.1- Perces et impédances d’entrées de cuivres

 

2.1.1- Perces de cuivres

 

Généralités sur la perce, cylindrique ou conique ?

Si la perce des instruments à vent de type « bois » repose sur deux formes de base, le cylindre et le cône, il est délicat de conclure aussi simplement pour les cuivres. Cependant en général, les perces de cuivre peuvent être schématisées de la manière suivante : (1) une longue partie centrale cylindrique ou conique sur laquelle sont branchées les dérivations cylindriques mises en/hors service par des pistons, (2) une partie évasée, le pavillon.

            Il est possible de partager les cuivres en trois catégories en fonction de la perce de la longue partie centrale :

(1)   les cuivres à dominante conique tels que le bugle (figure 8c), le tuba, les cuivres anciens à trous latéraux (cornet à bouquin, ophicléide, serpent),

(2) les cuivres à dominante cylindrique tels que la trompette (figure 8a), le trombone,

(3) les cuivres hybrides tels que le cor, le cornet (figure 8b).

S'il est aisé de classer les "instruments naturels" ou les instruments d'ordonnance (clairon, trompette de cavalerie), l'ajout d'additifs cylindriques mis en action avec des pistons provoque le classement de tous les cuivres modernes à base conique dans la catégorie hybride. En effet le doigté du bugle correspondant à la mise en action des 3 dérivations implique une rallonge cylindrique de 54,8 cm pour une base conique (doigté à vide, figure 8c) de longueur 110 cm ! La perce de la partie évasée, le pavillon, est discutée plus loin (chapitre 2.1.4).

 

            L'analyse de la perce des cuivres, et en particulier de leur évolution au cours de l'histoire, est un sujet de recherche en soit et mériterait de longs développements. Ainsi les mutations d'instruments a priori différents tels que le cornet et la trompette peuvent évoluer pour devenir très ressemblants (du point de vue de la perce) à certaines époques. De fait le classement des cuivres en 3 catégories tel que défini ci-dessus est finalement peu satisfaisant. Il est possible d’affiner ce classement en définissant quelques critères caractéristiques de la perce. Il est proposé de réduire la complexité d'une perce d'un cuivre à la donnée de 3 critères géométriques, trois diamètres particuliers d, D3, D définis à partir de la perce analysée (figure 9) : les différentes familles de cuivres sont assez facilement distinctes sur les graphiques.

 

Embouchure.

            L'embouchure est une pièce indépendante qui s'emboîte dans l'entrée de l'instrument, et dont le rôle essentiel est de réaliser l'adaptation entre les lèvres du musicien et l'instrument lui-même. Très schématiquement la perce de l’embouchure est constituée de deux cônes, le premier de forte conicité se referme jusqu’au grain, là où le diamètre est minimal, le second de faible conicité s’ouvre légèrement pour s’adapter à l’entrée de l’instrument (sur une pièce appelée branche d’embouchure).  D’un point de vue acoustique l’ensemble est parfois simplifié à l’extrême sous la forme d’un volume adapté sur une portion de cylindre. Le choix des dimensions de l’embouchure n’est pas sans effet acoustique (voir la fin du chapitre 2.1.3). Plus encore, cet élément est essentiel quant au confort de l’instrumentiste, avec en particulier le choix crucial du diamètre d’entrée du bord de l’embouchure qui détermine l’empreinte de cette dernière sur les lèvres du musicien.

 

2.1.2- L’impédance d’entrée acoustique

 

Impédance d’entrée, fréquences de résonance et notes jouées.

            La réponse acoustique d'un tube à différentes fréquences peut être caractérisée par son impédance d'entrée (à l'entrée de l'instrument complet, c'est à dire dans le plan d'entrée de l'embouchure), rapport de l'amplitude de la pression acoustique sur l'amplitude du débit acoustique (ou de la vitesse acoustique moyenne sur la section d’entrée). Une impédance d'entrée typique de cuivre (figure 10) fait apparaître un grand nombre de fréquences de résonances, fréquences pour lesquelles l'amplitude de l'impédance d'entrée est localement maximum, la phase passant par zéro. Chacune de ces fréquences de résonances est associée à une note (ou partiel) jouée par le musicien. Dans l'exemple de la figure 10a correspondant au doigté de base (dit doigté "à vide", aucun des 3 pistons étant en action), les huit premières fréquences de résonance correspondent à la série de note sib, sib, fa, sib, ré, fa, lab, sib (série harmonique du sib, figure 5). Pour le doigté 123 (pistons 1, 2 et 3 enfoncés), le résonateur précédent, typiquement de longueur 110 cm, est rallongé d'une portion cylindrique de longueur totale 55 cm. L'impédance d'entrée correspondant (figure 10b) exhibe également un grand nombre de résonances, dont les fréquences décalées vers les basses fréquences correspondent à la série de note mi, mi, si, mi, sol#, si, ré, mi (série harmonique du mi). Les 3 pistons offrent 8 combinaisons (8 doigtés) permettant de construire une tessiture chromatique complète de l'instrument (annexe 1). Une fois la perce de l’instrument définie, l'art du facteur consistera à choisir les trois longueurs de dérivation afin que l'instrument soit "globalement" le plus juste possible.

 

Fréquences de résonance et fréquences de jeu.

              Nous devons nous souvenir que les fréquences des notes jouées (fréquences de jeu relevées à l'accordeur par exemple) ne sont pas exactement égales aux fréquences de résonance relevées à partir des courbes d'impédance. L'écart entre les fréquences de jeu et de résonance résulte du couplage entre les lèvres vibrantes et l'instrument lui-même (ce point est discuté en détail au chapitre 3). Néanmoins pour un masque donné du musicien, l'écart relatif entre fréquence de jeu et fréquence de résonance est quasi indépendant de la note jouée. Ceci a pour conséquence qu’un diagramme de justesse construit à partir des fréquences de résonance est très représentatif de la justesse de l'instrument. Ainsi, si une note donnée est trop haute de 20 cents (par exemple), il suffira au facteur de modifier la perce pour un entraîner un décalage de 20 cents sur la fréquence de résonance correspondante. Pour illustrer ces résultats, nous avons regroupé sur une même figure (figure 11) la justesse des 3ièmes fréquences de résonance et des fréquences de jeu des partiels 3 des 8 doigtés d'une trompette (justesse définie comme étant l'écart en cents de la fréquence analysée à la fréquence théorique calculée à partir de la « gamme tempérée » basée sur le La 440Hz ; notons qu'un choix différent pour la référence ne change rien au discours). Les courbes de justesse des fréquences de résonance et des fréquences de jeu des partiels ont la même allure, autrement dit il y a un écart constant entre les deux courbes quelque soit leur allure, écart partiellement expliqué par la différence de température entre les deux séries de mesure. Pour obtenir ces résultats, il a été demandé au musicien de jouer les notes le plus naturellement possible, sans correction du défaut de justesse éventuel intrinsèque à l'instrument. En effet le musicien expérimenté utilise largement son masque pour corriger la hauteur de la note à jouer afin de rendre cette dernière juste. Typiquement le musicien est capable de faire varier la hauteur du partiel 4 (par exemple) de plus ou moins 30 cents, soit approximativement un quart de ton.

 

Résonateurs harmoniques, inharmonicité.

              Comme illustré précédemment, la tessiture des cuivres est construite à partir de séries de notes jouées (partiels) proche de séries harmoniques (par exemple la série de notes sib, sib, fa, sib, ré, fa, lab, sib reposant sur le fondamental sib). Un des objectifs majeurs des facteurs de cuivres est d’optimiser la perce des instruments afin d’obtenir des séries de résonance harmoniques. Il est connu que le résonateur conique de longueur L possède une série de fréquences de résonance correspondant à la série complète d'harmoniques Fn= nco/2L, où co est la vitesse du son. La vitesse du son co dépend de la température : co est proportionnel à la racine carrée de la température absolue. C’est par l’intermédiaire de la vitesse du son que les fréquences de résonance et donc la justesse des instruments à vent dépend beaucoup de la température (cf. la fin du chapitre 2.1.4). Fn la nième fréquence de résonance est égale au nième multiple (harmonique n) de la fréquence fondamentale F1= co/2L (le cône complet est étudié suivant les hypothèses simplificatrices classiques de l'acoustique linéaire sans perte ; cf. le cours "les bois"). Le résonateur cylindrique de longueur L possède lui aussi une série de fréquences de résonance harmoniques, la série étant incomplète. Il manque les harmoniques de rang pair : Fn= (2n-1)co/4L. La série des partiels étant incomplète, le résonateur cylindrique n'a pas été retenu pour la facture des cuivres. Le didgeridoo, instrument aborigène excité par les lèvres vibrantes du musicien à la manière du jeu des cuivres, fait exception. Le mode de jeu usuel de cet instrument n'étant pas le plus courant pour un cuivriste, il s'agit du mode de jeu "multiphonique" : le musicien joue et chante à la fois dans son instrument. Par ailleurs il existe une famille de résonateurs particuliers constitués d’une succession de cylindres pouvant être vue comme des intermédiaires entre le cylindre et le cône : un résonateur constitué de N cylindres (N=3 dans le cas particulier de la figure 12) de même longueur l et de sections successives Sn calculées suivant la formule Sn/S1=n(n+1)/2  pour le nième élément du réseau, offre une série de résonances harmoniques incomplète dont les harmoniques multiples de N+1 sont absentes. Hormis un exemple atypique de saxophone en bambou fabriqué en Argentine, cette famille de résonateur n'a pas été utilisée à des fins de facture d'instruments de musique à vent.

              Le résonateur qui respecte le mieux la propriété de série complète des résonances harmoniques est le cône complet, résonateur « théorique » : en pratique, il faut tronquer le cône en question (figure 13a) pour y placer l'anche du saxophone ou du hautbois (cf. le cours "les bois"), ou les lèvres du cuivriste. L'impédance d'entrée réduite z2 du cône tronqué (figure 13b) de longueur l et de troncature x (distance entre l’entrée du cône tronqué et son sommet) :

 

où z2=Z/rc est l’impédance d’entrée réduite (impédance d’entrée adimensionnée par l’impédance caractéristique), et k le nombre d’onde.

Dans le cas particulier l =380mm, x=47.5mm (rayons d'entrée et de sortie 7 et 63mm), les fréquences de résonances valent successivement F1=365.4 Hz, F2=735.4 Hz, F3=1121.8 Hz, F4=1527 Hz, F5=1947 Hz correspondant à la série 1, 2.01, 3.07, 4.18, 5.33 (si la référence est F1) ou autrement dit à la série 0.96, 1.93, 2.94, 4, 5.10 (si la référence est F4/4=381.75 Hz). Ces résultats sont regroupés sur une courbe de justesse (figure 13c) où les valeurs de référence sont les valeurs correspondant à la série complète des harmoniques. Ce type de représentation est particulièrement bien adapté à l'observation du degré d'inharmonicité des fréquences de résonance, il sera abondamment utilisé au chapitre 2.1.3 qui suit. La série complète des fréquences de résonance harmoniques est souvent associée à une longueur particulière Leq, « longueur équivalente » ou « longueur acoustique » à ne pas confondre avec la longueur géométrique du résonateur. La « longueur équivalente » ou « longueur acoustique» Leq est définie à partir des fréquences de résonance Fn comme suit : Fn=n.c/2Leq .

 

Après le cas du cône tronqué, un autre cas d'école est intéressant à analyser, il s'agit du résonateur constitué des deux éléments suivants : un cylindre de longueur l1 et un cône tronqué de longueur l2 , de troncature x2 (longueur totale L=l1+l2). L’impédance d’entrée réduite du cône tronqué est connue (cf la formule ci-dessus). L’impédance z1 de l’ensemble cylindre plus cône, à l’entrée du tube cylindrique de longueur l1 en fonction de z2 (impédance d’entrée du cône tronqué) est donnée par la formule suivante dite formule de l’impédance ramenée :

 .

Du calcul de l’impédance d’entrée z1 , il est facile d’extraire les fréquences de résonance (fréquences pour lesquelles le module de z1 est localement maximum). Les valeurs des fréquences de résonance de tous les cas intermédiaires entre le cône complet seul (l1=0, l2=L) et le cylindre seul (l1=L, l2=0) sont regroupés figure 14a. Les fréquences de résonances correspondant au cas particulier l1=l2=L/2 sont dans une série 0.97, 1.96, 2.97, 4, 5.04 (référence F4), elles sont regroupées sur la courbe de justesse (figure 14b).

 

2.1.3- Fréquences de résonance et harmonicité

 

            Ce chapitre 2.1.3 est consacré à une analyse systématique de l'influence des éléments de la perce (pavillon, embouchure) sur l'inharmonicité des fréquences de résonance. De fait il s’agit de comprendre comment le facteur obtient une série presque complète de résonances harmoniques à partir d'une perce caractéristique de cuivres.

 

Pavillon.

            Comme évoqué au chapitre précédent, le pavillon adapté dans le prolongement du tube cylindrique a pour rôle essentiel de transformer la série harmonique incomplète de résonances en une série presque complète. Pour vérifier cela, le cas d'école constitué d'un tube cylindrique de longueur 900mm et de rayon 7mm, prolongé d'un pavillon de Bessel de longueur 380mm (rayons d'entrée et de sortie 7 et 63mm, coefficient du pavillon a=0.645m-1 ; les pavillons et leur comportement acoustique sont discutés en détail au chapitre 2.1.4. qui suit et dans l’annexe 2). Les dimensions de ce cas d'étude sont typiques des dimensions d'une trompette (figure 15a). Comme précédemment, les fréquences de résonance sont estimées à partir des maximums locaux du modèle de l'impédance d'entrée du résonateur étudié (figure 15b). Les fréquences de résonance sont regroupées dans un diagramme de justesse (figure 15c), où il apparaît clairement que les fréquences de résonance, hormis la première d'entre-elles, sont quasi alignées sur l'axe des abscisses : série 0.63, 1.87, 2.99, 4, 5.06 (référence F4). La série harmonique presque complète des résonances est réalisée.

 

Embouchure.

            Dans le même esprit, il est intéressant d'étudier l'effet de l'embouchure adaptée à un tube cylindrique, à partir de l'impédance d'entrée et des fréquences de résonance. Pour cela le cas d'école suivant est étudié. Un tube cylindrique de longueur 1.3m et de rayon 0.007m est précédé d'une embouchure "simplifiée" (figure 16a). La géométrie "simplifiée" retenue est une cuvette cylindrique (longueur 0.015m, rayon 0.010m) prolongée d'un cylindre d'adaptation vers le tube cylindrique (longueur 0.030m, rayon 0.002m). L'impédance d'entrée de l'ensemble est calculée numériquement (figure 16b). Les fréquences de résonance sont reportées dans un diagramme de justesse, l'effet de l'embouchure sur le diagramme de justesse est significatif essentiellement dans le domaine des hautes fréquences (figure 16c). 

 

Instrument complet.

            Les trois éléments précédents (pavillon, tube cylindrique, embouchure) sont combinés pour un calcul complet dont les résultats sont donnés figure 17. Les effets respectifs dus au pavillon d'une part, à l'embouchure d'autre part sont combinés pour tendre vers une série harmonique presque complète optimisée : série 0.66, 1.96, 3.11, 4, 4.75 (référence F4).

 

Fréquences de résonance mesurées.

            Les résultats obtenus ci-dessus par calcul numérique peuvent être également discutés à partir de mesures effectuées sur des instruments réels. Un trombone ténor a été mesuré ; dans un second temps le même trombone sans son pavillon (après avoir retiré la pompe d'accord) est mesuré. Les fréquences de résonance extraites des impédances mesurées sont regroupées sur la figure 18. L'effet du pavillon sur l'inharmonicité des fréquences de résonance y est spectaculaire et illustre le même phénomène que celui mis en évidence lors des calculs appliqués au cas d’école précédent.

 

Courbe enveloppe de l’impédance d’entrée

Jusqu’à maintenant les impédances d’entrée n’ont été calculées que pour en extraire les fréquences de résonance, la courbe enveloppe des pics d’impédance est également porteuse d’informations. Elle peut présenter un « formant » (maximum local de la courbe enveloppe) centré sur la fréquence de résonance de l’embouchure (figure 19). Ce formant implique un renforcement des harmoniques de la note jouée (harmoniques correspondant à la plage fréquentielle concernée). Tout changement des dimensions géométriques internes de l’embouchure provoque un décalage de sa fréquence de résonance, le décalage de la zone formantique correspondante provoquera un changement de timbre significatif de l’instrument. Notons d’autre part qu’un décalage vers les hautes fréquences de la zone formantique relève les pics d’impédance des résonances aiguës, ce qui facilite l’émission des notes correspondantes (voir les embouchures  spécifiques de trompette pour jouer dans l’aigu par exemple).

 

La transformation du spectre engendré à l’intérieur de l’embouchure en un spectre rayonné à l’extérieur de l’instrument, est déterminé par la transmission du son de l’embouchure à l’extrémité de l’instrument (la notion de coefficient de transmission est abordée au chapitre 2.1.4 qui suit), puis par le rayonnement au niveau du pavillon. En première approximation nous dirons simplement que cette transmission a la caractéristique d’un filtre passe-haut. Les variations du spectre interne surtout à hautes fréquences se retrouvent donc dans le son rayonné.

 

2.1.4- Pavillons

 

Dans ce chapitre l’acoustique des pavillons et ses conséquences sur le fonctionnement des cuivres sont abordées. Pour plus de détails, le lecteur intéressé, avant de consulter la littérature spécialisée, pourra se reporter à l’annexe 2 « Acoustique des pavillons ».

 

Amélioration du rayonnement.

            Il a déjà été noté (cf le chapitre 2.1.3) qu’un pavillon adapté dans le prolongement d’un tube cylindrique transforme la série harmonique incomplète de résonances du cylindre en une série presque complète. Mais le rôle bien connu des pavillons pour des applications autres (portes voix, sonorisation) est plutôt un gain dans le rayonnement acoustique. Autrement dit, le pavillon réalise l’adaptation d’impédance entre la source acoustique (haut-parleur à chambre de compression par exemple) et le milieu extérieur. Le pavillon qui réalise le mieux cette adaptation est le pavillon exponentiel.  Cet effet est quantifié en calculant la transmission à travers le pavillon étudié. Pour cela  le coefficient de transmission T à l’entrée du pavillon est défini de la manière suivante. Le carré de T est le rapport de la puissance de l’onde transmise à celle de l’onde incidente. Ce coefficient est directement relié à l’impédance d’entrée réduite ze et sa partie réelle Re(ze) par la relation suivante :

             

où ze est l’impédance d’entrée réduite du pavillon (impédance adimensionnée Ze par l’impédance caractéristique Zc).

 

Dans le cas du pavillon exponentiel infini (figure 20a), il apparaît que le coefficient de transmission tend vers 1 à haute fréquence. Le pavillon tend donc à se comporter comme un cylindre à la différence (essentielle) près que s’il débouche sur l’espace infini, l’impédance de rayonnement est beaucoup plus grande que celle du cylindre, puisque cette impédance croit en première approximation comme le carré du rayon. La transmission des fréquences aiguës est donc bien meilleure avec le pavillon exponentiel : celui-ci adapte l’impédance d’entrée à l’espace infini. Ce gain dans l’aigu est réalisé au détriment des graves : en deçà de la fréquence de coupure Fc=mc/2p (m étant le coefficient du pavillon exponentiel), les ondes ne se propagent plus dans le pavillon, elles sont évanescentes, elles ne sont donc pas transmises vers le milieu extérieur (coefficient de transmission nul). Dans le cas plus réaliste du pavillon exponentiel de longueur finie, les deux comportements décrits ci-dessus restent qualitativement respectés (figure 20b), même si le coefficient de transmission n’est plus identiquement nul en deçà de la fréquence de coupure, et s’il fait apparaître un comportement résonant lié à la finitude du pavillon.

 

Pavillon exponentiel ou pavillon de Bessel ?

            Dans la littérature d’acoustique musicale, on a coutume d’approximer les pavillons de cuivre non pas par des pavillons exponentiels mais par des pavillons dits « de Bessel ». Certes aucun pavillon de cuivre n’a un profil qui suit exactement une fonction de Bessel, les mandrins des facteurs de cuivres ont été définis plus par essai erreur qu’à partir d’une table des fonctions de Bessel ! Mais un pavillon de Bessel ajustant assez bien le pavillon de cuivre étudié peut assez facilement être trouvé. Comme les pavillons exponentiels (sous-classe de la famille des pavillons caténoïdaux), les pavillons de Bessel forment une famille de pavillon pour laquelle l’équation des pavillons a des solutions explicites.

 

Peut-on justifier du choix d’un pavillon de Bessel à la place d’un pavillon exponentiel pour une trompette ? Pour tenter de répondre à cette question, nous reprenons le cas d’école traité au chapitre 2.1.3 précédent (cylindre de longueur 900mm prolongé d’un pavillon de Bessel de longueur 380mm, cf figure 15a), cas d’école que nous comparons aux deux autres cas suivants : le même cylindre est prolongé d’un pavillon exponentiel ou d’un cône, la longueur et le rayon de sortie du pavillon étant le même dans les trois cas (figure 21a). L’impédance d’entrée de ces trois résonateurs est calculée selon la méthode présentée au chapitre 2.1.3. Les coefficients de transmission sont déduits des impédances selon la définition donnée en début de ce chapitre, ils sont tracés en fonction de la fréquence figure 21b. Par ailleurs les fréquences de résonance extraites des courbes d’impédance sont reportées dans des diagrammes de justesse (figure 21c). Après analyse des figures 21b et 21c, il semble que le choix du pavillon de Bessel est lié à son meilleur compromis d’harmonicité par rapport aux deux autres pavillons traités.

 

Limites de l’approximation ondes planes.

Comme indiqué précédemment, tous les calculs d’impédance d’entrée reposent sur des hypothèses dont l’une d’entre-elles, la propagation en ondes planes, est très discutable dans le cas des pavillons. Pour ces résonateurs, et pour les cônes, l’onde plane ne respecte pas les conditions aux limites à la paroi du guide d’onde. En effet dans le cas sans perte, avec des parois rigides, la composante normale à la paroi de la vitesse acoustique est nulle. Or l’hypothèse ondes planes ne respecte cette nullité que dans le cas du guide d’onde à section constante, ce qui n’est évidemment pas le cas des pavillons. De fait les fronts d’ondes ne sont pas plans et dépendent de la géométrie du pavillon. Notons que dans le cas des pavillons coniques, les fronts d’ondes sont sphériques.

Si l’hypothèse onde plane n’est pas vérifiée, il n’est pas surprenant de vérifier que l’impédance d’entrée d’un pavillon calculée à partir de cette hypothèse n’est pas très réaliste. Ceci est vérifié aisément en comparant l’impédance d’entrée calculée suivant l’hypothèse ondes planes, avec l’impédance mesurée d’un pavillon de trompette (figure 22a). Dans le cas réaliste d’un cylindre de longueur 780mm prolongé du pavillon de trompette en question (portion cylindrique de 120 mm avant la partie évasée longue de 380mm), le décalage entre le calcul et la mesure est de l'ordre de 15 Hz sur la résonance 8 (figure 22b), soit 25 cents pour le Sib aigu de la trompette !

 

Hypothèses simplificatrices et questions ouvertes ?

Les calculs et modèles présentés reposent sur des hypothèses. Selon la démarche classique du physicien, il s’agit de « caricaturer » au maximum la réalité tout en conservant une description réaliste des comportements essentiels du système étudié. Si possible, chaque hypothèse doit être validée a priori ou a posteriori, ses limites doivent être évaluées (cf. les limites de l’hypothèse ondes planes ci-dessus). Dans certains cas, l’hypothèse simplificatrice doit être abandonnée (cf. l’hypothèse de propagation linéaire appliquée aux sons cuivrés au chapitre 2.2 qui suit).

 

Parmi les hypothèses du modèle simplifié de cuivres qui sera présenté plus loin (chapitre 3.1), la cavité buccale du musicien n’est pas modélisée. A première vue cela peut surprendre le musicien qui apporte en général une grande importance à son effet (modification de la géométrie de la cavité buccale en ajustant la position de la langue par exemple). Si la cavité buccale, et plus généralement le conduit vocal sont essentiels dans la « soufflerie », ce que le musicien appelle la colonne d’air, son effet acoustique ne semble pas spectaculaire (au niveau de description qui est le nôtre). De toute façon la prise en compte de la cavité buccale dans le modèle acoustique n'est pas insurmontable, elle agit comme une impédance en série avec l'instrument et peut donc être intégrée dans l'impédance vue par les lèvres. La difficulté est de l'estimer expérimentalement... Nous supposons donc qu'en l'état actuel de validation du modèle global, c'est un effet du second ordre.

 

            Par ailleurs, la propagation acoustique à l’intérieur du résonateur est supposée guidée dans un conduit aux parois infiniment rigides ! Cela semble être contradictoire avec l’expérience quotidienne du musicien qui peut « sentir » les vibrations de son instrument. C’est un fait que les parois vibrent, mais l’effet des vibrations sur le rayonnement est négligeable. Contrairement aux instruments à cordes qui rayonnent essentiellement par vibration de plaques, les instruments à vent rayonnent par les extrémités ouvertes (le pavillon seulement pour les cuivres). Le matériau est-il alors sans effet ? Il est incontestable que la nature du matériau est critique quant à la manière de fabriquer l’instrument. Par ailleurs l’état de surface de la paroi interne de l’instrument est important : une paroi poreuse provoquera des pertes aux parois beaucoup plus importantes qu’une paroi lisse, l’acuité des résonances acoustiques est diminuée, l’instrument devient sans doute plus difficile à jouer et moins timbré. Peut-être est-ce là une des raisons du vieillissement des cuivres, au dire des musiciens leur instrument vieillissant « se vident ».

 

Effet de la température

La température est un paramètre essentiel des instruments à vent. Tout instrumentiste apprend très tôt qu’il doit « chauffer » son instrument. Si la température n’est intervenue explicitement dans aucun des calculs ou des raisonnements donnés dans ce texte, elle est en fait très présente dans le calcul des fréquences de résonances, fréquences proportionnelles à la vitesse du son c (chapitre 2.1.2) pour les résonateurs élémentaires. La vitesse du son étant proportionnelle à la racine carrée de la température absolue, une variation relative de 5°C à température ambiante provoque une variation relative de 0.85 % de la vitesse du son, ce qui entraîne la même variation relative des fréquences de résonance, c’est à dire 15 cents. Cet écart de justesse dû à la variation de température pourra être compensé par une modification de la longueur du résonateur  de 0.85 %. La sensibilité acoustique du résonateur à la température n’est absolument pas liée à une quelconque dilatation mécanique de l’instrument de musique !    

 

2.2- Propagation acoustique non-linéaire et « sons cuivrés »

 

            Les modèles physiques utilisés pour les instruments à vent reposent la plupart du temps sur une description du résonateur relevant de l’acoustique linéaire. La description de la propagation du son y est basée sur "l'équation de propagation" dans le domaine temporel ou l’équation de Helmholtz dans le domaine fréquentiel. Les résonateurs sont ainsi étudiés en régime permanent harmonique et sont caractérisés par les grandeurs classiques impédance d'entrée et fonction de transfert. Cette approche est féconde d'une part pour l'analyse du fonctionnement des vents (cf. le chapitre 2.1), d'autre part pour des sons de synthèse. Néanmoins ces modèles de propagation linéaire ne permettent pas de décrire certains sons caractéristiques de cuivres, sons de forte puissance, appelés par les musiciens eux-mêmes "sons cuivrés". Si le terme choisi fait directement référence au métal, c'est sans doute en référence à la brillance du rendu sonore. De fait cet effet est sans relation avec le matériau constitutif de l'instrument ! Un cuivriste peut aisément faire "cuivrer" un tuyau d'arrosage en plastique. L'effet de cuivrage est la conséquence directe du phénomène de propagation non-linéaire (cf. le chapitre suivant 2.2.1) ; la prise en compte de ce phénomène dans les modèles restitue instantanément l'effet de "cuivrage" dans les sons de synthèse obtenus (cf. le chapitre 2.2.2).

 

2.2.1- Propagation acoustique non-linéaire

 

            L'équation de propagation acoustique est obtenue après linéarisation des équations de base (conservations de la masse, de la quantité de mouvement, relation thermodynamique) autour de la position d'équilibre du fluide au repos. En l'absence de sources sonores et en l'absence de modélisation des phénomènes de perte, dans le cas monodimensionel, l'onde acoustique est solution de l'équation d’onde en pression p’ suivante :

               où co est la vitesse du son.

L’équation d’onde peut être réécrite sous la forme suivante :

.

L’onde de pression p’ est décomposée en deux ondes simples, p+ et p-, ondes aller et retour, respectivement solutions des deux équations suivantes :

.

            La première approche de la propagation non-linéaire consiste à étudier la propagation dite faiblement non-linéaire de l’onde simple q (p+ ou p-) par la méthode du petit paramètre M (M, nombre de Mach, rapport d'une vitesse acoustique caractéristique du problème, vitesse à la source par exemple, sur la vitesse du son co ; M est supposé petit devant 1). Après quelques opérations algébriques (voir annexe 3), l'équation dite de Burgers est obtenue :

     ,

où les variables X et q sont définies par X=Mx et .

            Si la source est sinusoïdale en entrée de tuyau (amplitude P0 en x=0), l'onde se distord lors de la propagation : une partie de l'énergie contenue à la fréquence F de la source (amplitude q1) est transférée sur les harmoniques supérieures (amplitude q2 de l’harmonique 2 par exemple) selon les formules de Fubini. Au voisinage de la source,   q1 et q2 vérifient :

est l’abscisse adimensionné par la distance de formation de choc xc définie plus bas.

 

            A longue distance de la source, l'onde initialement sinusoïdale se transforme en "onde N" (figure 23) faisant apparaître un "choc" (variation instantanée de pression) dans le domaine temporel, se traduisant par un spectre de raies de bande fréquentielle infinie. Dans le cadre de cette théorie sans perte, il existe une distance limite au-delà de laquelle il y a présence de choc, c’est à dire variation instantanée de pression (pente infinie). Cette distance est la « distance de formation de choc » xc :

                                                ,

est la valeur maximum de la dérivée temporelle du signal de pression en x=0.

 

            Dans la réalité, les angles de l'onde de choc sont « arrondis » par les phénomènes de perte. Après prise en compte des pertes viscothermiques aux parois d'une part (terme du second membre avec dérivée ½), des pertes viscothermiques de volume d'autre part (terme du second membre avec dérivée seconde), l'équation de Burgers devient l'équation suivante :

.

La présence des termes de pertes aux parois rend la résolution analytique de cette équation impossible. Après résolution numérique on peut observer la distorsion de l'onde comme illustré sur la figure 23. Par souci didactique, l'onde est supposée initialement sinusoïdale, ce n'est évidemment pas toujours le cas comme nous le verrons dans le chapitre 2.2.2 suivant appliqué aux cuivres.

 

2.2.2- Application aux "sons cuivrés"

 

            Les niveaux sonores obtenus dans l'embouchure de trombone peuvent atteindre 170 dB. A de tels niveaux il est aisé de vérifier que la distance de formation de choc est inférieure à la longueur de la coulisse du trombone. Il n'est donc pas surprenant d'observer des ondes de choc à l'intérieur de l'instrument (figure 24), ondes de choc observées d'autant plus facilement que le résonateur est long (voir par exemple les notes cuivrées obtenues à la 6ième position). Observons le signal acoustique en entrée d'instrument et en sortie de coulisse (à 1.8m mètres de l'entrée) lors d'un crescendo progressif (vidéo 1) : (1) le signal d'entrée voit essentiellement son amplitude croître, la distorsion du signal restant à première vue peu prononcée, (2) le signal en sortie de coulisse se déforme spectaculairement jusqu'à l'onde de choc. On notera l'apparition de bruit sur le signal après le choc ; ce phénomène inattendu n'est qu'un artefact du capteur de pression utilisé lors de l'enregistrement. Des harmoniques très hautes fréquences sont ainsi générées à l'intérieur de l'instrument : sur l'analyseur de spectre il a été observé des raies émergeant du bruit de fond bien au-delà de la limite des sons audibles (typiquement jusqu'à 60 kHz). Ces composantes hautes fréquences ne se réfléchissent pas au niveau du pavillon, elles sont totalement transmises à l'extérieur. Les signaux caractéristiques obtenus à l'extérieur ressemblent à une série d'impulsions générées à la fréquence de la note jouée (figure 25). Ces hautes fréquences totalement transmises, ne revenant pas vers les lèvres du tromboniste et ne participant donc pas à l'auto-entretien des vibrations de ces dernières, ceci est un argument supplémentaire pour justifier l'utilisation d'un modèle de propagation linéaire (impédance d'entrée) pour l'analyse de la stabilité et des petites oscillations des lèvres vibrantes (cf. le chapitre suivant 3). Par ailleurs cela justifie également la simplification suivante pour les sons de synthèse : dans un premier temps les sons de synthèse sont obtenus à partir d'un modèle de résonateur linéaire, dans un second temps les sons obtenus en entrée d'instrument sont propagés non-linéairement et rayonnés vers l'extérieur (audio 1). Il n'a été question ici que de sons cuivrés réels et de synthèses appliqués au trombone, mais il est évident que ces "sons cuivrés" sont caractéristiques de tous les instruments de musique de type cuivre, y compris ceux de perce à dominante conique.

 

3- Les lèvres vibrantes

 

            Jusqu’à maintenant (chapitre 2) chaque note jouée a été associée à une des résonances acoustiques caractéristiques du résonateur, la géométrie interne (perce) de ce dernier déterminant les valeurs des fréquences en question. En contrôlant la perce de l’instrument, le facteur détermine la tessiture, la justesse et les potentialités acoustique du cuivre. Un changement de note est contrôlé par le changement de perce suite à un changement de doigté (trompette) ou de position (trombone), l'instrumentiste est en quelque sorte guidé par l'instrument. La connaissance a priori des fréquences de résonance de chacun des doigtés est une bonne première caractérisation de la justesse de l'instrument ; réciproquement pour corriger une fréquence de jeu d'une quantité donnée, il suffit de modifier la perce en conséquence afin d'obtenir le même décalage fréquentiel sur la fréquence de résonance correspondante. Néanmoins le rôle du musicien a déjà été souligné : (1) le musicien choisit la note jouée parmi les différents partiels jouables (typiquement au moins 8) pour un doigté ou une position donnée, c’est à dire pour un résonateur acoustique donné, (2) les instruments à vent ne sont pas des instruments à son fixe, le musicien peut modifier la hauteur et le timbre de la note jouée par un contrôle adéquat de son "masque". Le musicien opère ces deux fonctions en adaptant son « masque » au but recherché. Par le terme « masque » il faut comprendre la capacité qu’a le musicien à contrôler les paramètres mécaniques des lèvres vibrantes en configurant la musculature faciale et l’appui lèvres embouchure d’une part, à contrôler l’écoulement d’air inter-lèvres d’autre part. Pour une description affinée du comportement acoustique des cuivres en situation de jeu, le physicien doit donc s’attacher à modéliser les lèvres vibrantes et leur couplage avec le résonateur via l’écoulement d’air inter-lèvres. C’est l’objectif de ce troisième et dernier chapitre. 

    

Dans un premier temps (chapitre 3.1) il s’agit de proposer un modèle physique élémentaire des lèvres et du couplage avec le résonateur dû à l’écoulement inter-lèvres. L’analyse de la stabilité linéaire du système physique constitué du système mécanique, les lèvres, couplé au système acoustique, l’instrument, est proposé. Après une discussion assez générale et une description de l’instabilité oscillante de type « flutter » l’étude de stabilité est appliquée au modèle de cuivres (chapitre 3.2). Pour finir, quelques résultats de simulations temporelles sont discutés (chapitre 3.3).

 

3.1- Modèle physique élémentaire de lèvres

 

3.1.1- Le « masque » du musicien, quelques éléments

 

            Il n’est pas question ici de détailler la façon dont le musicien configure son « masque » facial pour «emboucher » et maîtriser au mieux sa trompette ou son trombone de l’extrème-grave au suraigu ! Laissons ce travail ingrat aux musiciens pédagogues. Pour jouer, le musicien configure son « masque » facial au mieux pour obtenir ce qu’il souhaite (figure 4), pour cela il configure la « toile d’araignée » de muscles du visage qui entourent les lèvres et appuie ces dernières contre l’anneau extérieur de l’embouchure de l’instrument en évitant toute micro fuite latérale d’air. L’autre élément essentiel très lié au « masque » est la « soufflerie », ce que le musicien appelle la colonne d’air.

 

Si un parallèle entre lèvres (cuivres) et anches (bois) peut être fait, dans les deux cas il s’agit de l’élément mécanique vibrant qui module l’écoulement d’air entrant à l’intérieur de l’instrument et qui est la source acoustique dite à « effet valve ». Contrairement aux anches qui ont des caractéristiques mécaniques fixées à la construction, les lèvres ont des caractéristiques mécaniques variables. Le musicien doit adapter son masque dans des limites très éloignées afin d’obtenir des partiels très éloignés de 3 à 4 octaves avec son instrument. Le musicien travaille cette faculté d’adaptation par de nombreux exercices de souplesse (« flexibilities »). A tel point que le trompettiste ou tromboniste virtuose est capable d’exciter son instrument en oscillations forcées : c’est le cas des musiciens de jazz dans le suraigu. Dans ce cas, du point de vue de la physique, le cuivre se rapproche plus du fonctionnement de la phonation des sons voisés (voir le chapitre 3.2.2) que du fonctionnement des bois.

 

Observer et analyser le fonctionnement des lèvres du musicien est très délicat à cause … du musicien ! Il est en effet très difficile de maîtriser les conditions de jeu d’un jour à l’autre, ou sur une très longue durée afin de faire les mesures souhaitées par le physicien. Pour contourner au moins partiellement la difficulté, il a été développé des bouches artificielles (figure 26), systèmes mécaniques se substituant au musicien pour faire fonctionner les cuivres dans des conditions de jeu suffisamment réalistes (vidéo 2). La bouche artificielle pour cuivres est constituée d’une cavité fermée sous pression, à l’intérieur de laquelle sont fixés deux tubes élastiques sous tension remplis d’eau qui, adaptés à un trombone ou une trompette, se mettent à vibrer spontanément sous l’effet de l’écoulement comme les lèvres du musicien. Des réglages mécaniques de grande précision permettent à l’expérimentateur de modifier le « masque » du musicien de manière contrôlée. On peut ainsi obtenir de manière reproductible quelques notes parfaitement stables dans la durée, permettant des mesures fines.

 

            Pour être réaliste, la bouche artificielle doit permettre de retrouver les bases essentielles du comportement de l’instrumentiste. En particulier elle doit avoir des paramètres de contrôle facilement accessibles. Le premier d’entre eux est le contrôle de la surpression statique dans la cavité buccale de la bouche, à faible pression ce dernier permet d’étudier les sons au voisinage du seuil d’oscillation (cf. le chapitre 3.2), à forte pression cela permet d’étudier les sons cuivrés (cf. le chapitre 2.2). Un second paramètre de contrôle doit permettre d’obtenir différents partiels pour un résonateur donné. Ceci est réalisé grâce au contrôle de la pression d’appui des lèvres artificielles sur le rebord de l’embouchure : lorsque la pression d’appui augmente, les sons obtenus correspondent à des partiels de plus en plus aigus (vidéo 3). Cette tendance à appuyer fortement les lèvres sur l’embouchure pour « monter dans l’aigu » est très naturelle chez les cuivristes … mais peut être très dommageable pour l’intégrité du musicien, gare à la courbature de lèvres rédhibitoire ! Le pédagogue devra expliquer comment limiter cette pression d’appui (technique du « no pressing ») sans brider les possibilités du musicien dans l’aigu.

 

Conçue à l’origine pour une étude scientifique de la relation instrumentiste/instrument, la bouche artificielle pourrait être adaptée en  « banc d’essai », afin d’effectuer des mesures comparatives lors de la mise au point d’instruments, tests complémentaires à ceux indispensables effectués par les musiciens essayeurs.

Une version simplifiée de bouche artificielle est exposée dans le musée d’instruments de musique de Edimbourg (http://www.music.ed.ac.uk/euchmi/ugrol.html).

 

3.1.2- Oscillateur mécanique équivalent

 

La complexité du « masque » d’un musicien ou de la bouche artificielle est telle qu’il est très difficilement envisageable de proposer un modèle mécanique ex-nihilo. L’approche phénoménologique est plus raisonnable. Un dispositif expérimental a été développé autour de la bouche artificielle pour mesurer la réponse mécanique des lèvres à une excitation forcée (en pratique il s’agit d’une excitation acoustique placée dans la cavité), associée à un « masque » donné (figure 27). Cette réponse est en quelque sorte le parallèle mécanique des lèvres par rapport à la réponse acoustique, appelée impédance d’entrée, de l’instrument. Une réponse mécanique typique est proposée figure 28. La courbe de réponse mécanique exhibe elle aussi des résonances marquées, l’une d’entre elles est prépondérante. Lorsqu’une pression statique sera imposée dans la cavité buccale, la résonance sera déstabilisée pour obtenir une note de fréquence de jeu voisine à la fois de la fréquence de résonance en question, et d’une fréquence de résonance acoustique de l’instrument.

 

Pour modéliser les lèvres vibrantes couplées à l’instrument (cf. le chapitre 3.1.3 qui suit), dans un premier temps la complexité mécanique du problème est réduite à un système à un degré de liberté. Ses paramètres sont estimés à partir de la réponse mécanique mesurée des lèvres. Il s’agit d’extraire les paramètres de la résonance (fréquence wL, facteur de qualité QL) qui caractérisent l’oscillateur mécanique équivalent. En ce sens, la modélisation physique des lèvres vibrantes proposée est inversement proportionnelle à la complexité de la myologie faciale du musicien ! Le comportement de l’oscillateur mécanique équivalent est modélisé par une équation différentielle du second ordre en temps appliquée à l’ouverture inter lèvres (variable h) :

où f est la force appliquée au système mécanique de masse équivalente mL.

 

Cette opération peut être réalisée pour différents « masques ». Les résultats obtenus pour un grand nombre de « masques » différents en jouant sur le paramètre de contrôle force d’appui ont été regroupés figure 29. La dépendance entre fréquence de résonance mécanique des lèvres et force d’appui y est évidente.

 

3.1.3- Oscillateur mécanique couplé au résonateur acoustique

 

            Les lèvres sont des structures continues complexes dont les caractéristiques mécaniques, les conditions aux limites mécaniques (dents et mâchoire à l'intérieur de la cavité buccale, embouchure à l'extérieur pour l'encastrement) et le champ de pression environnant (dépendant de l'écoulement en leur voisinage) peuvent entraîner des vibrations transversales et longitudinales de ces dernières après déstabilisation de leur position d'équilibre. Comme entrevu au chapitre  précédant pour la modélisation mécanique, il s'agit de simplifier le problème à l'extrême, tout en essayant de conserver la physique du problème : nous entendons ici une description réaliste du couplage aéroélastique susceptible d'expliquer le comportement du système mécanique au seuil d'oscillation (cf. le chapitre 3.2). Cette démarche permet de mieux appréhender l'influence des paramètres essentiels du modèle sur le comportement oscillatoire du système et peut aider à piloter les simulations temporelles (cf. le chapitre 3.3) très rapidement "incontrôlables" du fait du nombre croissant de paramètres lors de la complexification du modèle.

 

Oscillateurs mécanique et acoustique

            Si le comportement mécanique des lèvres est modélisé par un oscillateur mécanique équivalent reprenant les paramètres d’une résonance mécanique extraite de la réponse du système dans le domaine fréquentiel, il est également possible d’extraire les paramètres d’une résonance acoustique isolée dans une impédance d’entrée. La résonance acoustique est approximée localement dans le domaine fréquentiel par la relation suivante :

 ,

où Z est l’impédance d’entrée et Zc l’impédance caractéristique, ZA étant un nombre sans dimension (valeur de l’impédance réduite Z/Zc à la résonance). Les paramètres de la résonance acoustique sont la fréquence de résonance wA et le facteur de qualité QA. Le résultat ci-dessus dans le domaine fréquentiel peut être écrit dans le domaine temporel sous forme d’une nouvelle équation différentielle du second ordre :

 

Y est une nouvelle quantité acoustique proportionnelle au potentiel acoustique à l'entrée du résonateur et v le débit acoustique à l’entrée de l’instrument. Le passage du domaine fréquentiel au domaine temporel n’est pas instantané et repose en particulier sur l’hypothèse  (w-wA)/wA  petit devant 1.

 

Couplage aéroélastique (et linéarisation)

            Le couplage aéroélastique entre les oscillateurs mécanique et acoustique sont contenus dans les seconds membres des équations différentielles via le terme de force f (chapitre 3.1.2), et le débit acoustique v (équation ci-dessus). Ces termes dépendent de manière subtile de l’écoulement inter lèvres et du champ de pression qui en résulte. La géométrie du système est simplifiée (figure 30). Lorsque le musicien impose une surpression statique dans la cavité buccale, cela provoque un écoulement dans le canal inter lèvres de section supposée constante, puis dans l'instrument. La modélisation la plus simple possible est une modélisation quasi stationnaire,  localement incompressible et sans perte de l'écoulement inter lèvres. De plus en sortie de canal, l’écoulement est supposé former un jet après double séparation de couche limite. Dans ce cas, d’une part la pression à l’intérieur du canal est uniforme et égale à la pression à l’entrée de l’instrument, d’autre part l’écoulement est uniforme dans le canal avec une vitesse u vérifiant la relation de Bernoulli qui suit :

 ,

où Po est la surpression statique dans la cavité buccale.

En définitive, les champs de vitesse et de pression sont uniformes dans le canal inter lèvres et la vitesse est directement reliée à la différence de pression Po-p.

 

En sortie de canal, le jet est instable et se répartit sur la section d'entrée du résonateur (entrée de l'embouchure) dans une zone compacte appelée "zone de mélange", l'énergie mécanique s’y dégrade en chaleur par turbulence (non-conservation de l'énergie mécanique). La conservation de la masse et de la quantité de mouvement de part et d'autre de cette zone permet de vérifier qu'il n'y a pas recouvrement de la pression (tout au moins quand la section d'entrée de l'embouchure est grande devant la section du canal inter lèvres, ce que nous supposons ici). En définitive la pression et le débit à la sortie du canal et à l'entrée du résonateur sont identiques ! D’autre part la conservation de la masse entre la sortie du canal et l’entrée de l’instrument permet d’écrire qu’à chaque instant le débit est conservé :

v=bhu              où b est une largeur équivalente des lèvres.

 

En définitive le débit acoustique entrant dans l’instrument est à chaque instant proportionnel à l’ouverture inter lèvres h d’une part, et à la vitesse u de l’écoulement d’autre part. Il est possible de résumer l’effet valve de la façon suivante : le débit entrant dans l'instrument, est contrôlé par la différence de pression d'une part (contrôle de la vitesse), par l'ouverture inter lèvres d'autre part (contrôle de la section). Ce type de raisonnement est également appliqué dans le cas de la modélisation des instruments à vent à anche.

 

Par ailleurs, la force f appliquée à l’oscillateur mécanique équivalent est supposée proportionnelle à la pression acoustique p dans l’embouchure :

f/mL = p/m        où le coefficient de proportionnalité m n’est pas aisé à déterminer, puisque même son signe (voir le chapitre 3.2.2) n’est pas connu de manière sûre !

 

Rappel des équations couplées et position d’équilibre

Après linéarisation de l’équation de Bernoulli et élimination des variables u et v, le modèle physique élémentaire se résume à deux oscillateurs couplés en fonction des variables h et Y :

,

 et  sont les valeurs moyennes de l’ouverture inter lèvres et de la vitesse de l’écoulement, valeurs correspondant à la position d’équilibre du système lorsque les lèvres ne vibrent pas et que la surpression statique Po est appliquée dans la cavité buccale. Les quantités  et  sont des fonctions du paramètre de contrôle Po,  et Po étant reliés par la relation ,  et Po étant reliés par la relation .

 

Les deux équations différentielles du 2nd ordre ci-dessus peuvent être facilement transformées en un système dynamique d’ordre 4 (4 équations différentielles linéaires d’ordre 1 en temps) dont il sera fait usage lors d’une étude de stabilité au chapitre 3.2 qui suit :

 .

 

3.2- Analyses de stabilité linéaire appliquées aux cuivres

 

3.2.1- Stabilité linéaire de deux oscillateurs couplés, instabilité de type « flutter »

 

Analyse de stabilité linéaire, seuil

            L'étude de la stabilité linéaire de la position d’équilibre est la première étape de l'analyse du comportement dynamique local en général, de l'étude de déstabilisation en particulier. Ce type d'analyse est basé sur la linéarisation des équations du modèle global autour d'une solution singulière (la position d'équilibre des lèvres ici), l'étude de la stabilité locale se résume alors à l'analyse des parties réelles des valeurs propres de l'équation caractéristique (autrement dit, les valeurs propres de la matrice M du système dynamique équivalent). Pour analyser le processus de déstabilisation en fonction d'un paramètre de contrôle donné (la surpression statique Po dans la bouche dans le cas des cuivres par exemple), il s'agit de suivre l'évolution de ces parties réelles en fonction du paramètre en question et de repérer le moment (le seuil) où une de ces valeurs propres change de signe (du négatif vers le positif). Si cette bifurcation s'accompagne de l'apparition de deux valeurs propres complexes conjuguées, il y a "déstabilisation oscillante" de la position d'équilibre (phénomène de "flutter"). Autrement dit, le seuil correspond au jeu particulier de paramètres de contrôle donnant au moins un couple de valeurs propres imaginaires pures conjuguées. Par contre si cette bifurcation s'accompagne de l'apparition d'au moins une valeur propre réelle positive, on parle alors de "divergence". Les résultats de ce type d’analyse paramétrique sont souvent regroupés dans des diagrammes dits de bifurcation (voir la figure 31 dont il est question plus loin).

 

"flutter" par coalescence de deux fréquences propres.

 

            Soit deux oscillateurs couplés sans amortissement gouvernés par l'équation différentielle vectorielle ci-dessous :

,

avec  matrice de raideur réduite décomposée en une matrice symétrique et une matrice antisymétrique

 

L'équation caractéristique associée est : , équation bicarrée ayant pour discriminant  . L'instabilité de type "flutter" par coalescence de fréquences propres (instabilité asymptotique oscillante) est obtenue lorsque le discriminent D devient négatif (une paire de valeurs propres conjuguées et à partie réelle positive) ; au seuil, pour D=0, les deux paires de valeurs propres conjuguées coïncident (phénomène de coalescence). Or le discriminent devient négatif s'il existe un terme de raideur antisymétrique (ka) qui compense la partie positive de D (termes de la matrice de raideur symétrique). L’existence d’un terme de couplage antisymétrique est une condition nécessaire mais non suffisante.

 

Notons que dans le cas d'une déstabilisation par coalescence de fréquences propres, les termes d'amortissement structurel favorisent l'instabilité: le seuil correspond à une valeur du débit moyen (le paramètre de contrôle) plus faible (figure 31) ! Cela illustre également le fait qu’une déstabilisation oscillante n’est pas systématiquement obtenue par un effet de type « amortissement négatif » comme ce peut être le cas dans le cas d’école de l’oscillateur de Van der Pol.

 

Exemples de systèmes aéroélastiques instables

            Le premier exemple de déstabilisation de type « flutter » modélisé est le flutter des ailes d’avion : un mode de torsion et un mode de flexion d’une aile d’avion sont couplés par l’écoulement d’air extérieur. Ce couplage est potentiellement générateur de déstabilisation oscillante de l’aile pouvant entraîner de gros dégâts ! Citons des exemples plus proches du cas des lèvres vibrantes : le ronflement (figure 32) et la production de la parole par coalescence de fréquences propres respectivement du voile du palais et des cordes vocales. La modélisation de l'écoulement autour du voile du palais, ou entre les cordes vocales, met en évidence l'existence de termes de couplage de type raideur antisymétrique cause de ce type particulier de "flutter". Dans le cas des cordes vocales, l’expression « modèle à deux masses » est retenue car le système mécanique complexe est modélisé par deux de ses résonances mécaniques, ces deux résonances étant couplées par l’écoulement passant entre les cordes vocales lors de l’expiration. Ce modèle de cordes vocales est retenu car il permet d’expliquer la capacité des cordes vocales à auto osciller sans que la réaction acoustique du conduit vocal soit prise en compte (animation 1).

 

3.2.2- Influence du résonateur et du « masque » sur les seuils

 

            Le musicien peut modifier la hauteur et le timbre de la note jouée par un contrôle adéquat de son "masque". Dans le cadre du modèle physique de lèvres décrit précédemment, l’adaptation du masque du musicien est essentiellement contrôlée par les paramètres (fréquence fL et facteur de qualité QL) de l’oscillateur mécanique équivalent. Cette dépendance entre fréquence de résonance mécanique et note jouée, pour un résonateur fixé c’est à dire pour une résonance acoustique donnée, est analysée au regard du formalisme décrit au chapitre précédent (analyse de seuil en fonction du paramètre de contrôle Po).

 

Seuil cuivres, principe

            Les paramètres mécaniques (fL, QL) et acoustique (fA, QA), les paramètres géométriques et thermodynamiques, étant connus, il s’agit de rechercher les valeurs propres de la matrice M 4x4 définie au chapitre 3.1.3 pour toute une série de valeurs du paramètre de contrôle Po (typiquement entre 0 et 100 mbar) afin de déterminer le seuil de déstabilisation caractérisé par la pression de seuil Ps (valeur particulière de la pression Po pour laquelle la matrice M exhibe une paire de valeurs propres imaginaires pures conjuguées +/- jwS).

 

Dans l'analyse des résultats expérimentaux, la fréquence de jeu d’une note jouée à nuance très faible par la bouche artificielle est comparée à la fréquence de seuil calculée au seuil d'instabilité de la position d'équilibre (fS=wS/2p) comme indiqué ci-dessus.

 

Résultats, interprétation musicale

 

            La première série de résultats présentée figure 33 correspond exactement à l’étude proposée ci-dessus :  les seuils (fréquence fS et pression PS) sont mesurés et calculés dans la configuration résonateur fixé (trombone en 1ère position) et « masque variable » (fL croissante sur une plage de 50 Hz autour de 200 Hz). Pour une position critique du masque, un saut du partiel 4 au partiel 5 est observé expérimentalement (figure 33a), ce phénomène est visible plusieurs fois successivement sur l’exemple vidéo 3. Ces résultats expérimentaux sont comparés à des résultats théoriques figure 33b, résultats théoriques suivant 2 modèles dits «inward » ou outward ». Ces deux modèles sont identiques au signe de m près (m négatif pour « inward », positif pour « outward »). Il peut être théoriquement montré que, dans le premier cas fS est inférieure aux fréquences fL et fA, dans le second cas elle leur est supérieure, ce qui est vérifié sur la figure 33b. Autrement dit, une différence de pression positive entre la bouche et l’entrée de l’instrument provoque une fermeture de la valve dans le cas « inward », une ouverture dans le cas « outward ». Si pour les instruments à anche simple, un raisonnement sur la géométrie du système permet de conclure clairement (modèle « inward », fréquence de seuil inférieure aux deux fréquences de résonance), les observations directes sur les lèvres vibrantes ne permettent pas une conclusion tranchée.

 

            La seconde série de résultats présentés < figure 34 correspond à la situation duale : les seuils (fréquence fS et pression PS) sont mesurées et calculées dans la configuration « masque fixé » et résonateur variable (trombone avec 22 positions de coulisse par pas de 2 cm entre la 1ère position, référence 0, et la dernière position 63 cm  plus loin). Pour plusieurs positions critiques de la coulisse, des sauts du partiel 4 au partiel 5, puis au partiel 6 sont observés expérimentalement (figure 34a). Ces résultats expérimentaux sont comparés à des résultats théoriques figure 34b. Le phénomène est visible sur l’exemple vidéo 4 en utilisant la bouche artificielle et avec un tromboniste à qui il est demandé de faire un « glissando » contre nature, sans modifier son masque. En pratique lors de l’exécution d’un glissando le tromboniste adapte en temps réel la fréquence mécanique fL pour suivre la fréquence acoustique fA du partiel souhaité, il n’y a plus de phénomène de saut vers les partiels supérieurs.

 

Modèle à 1 ou 2 masses ?

            Les résultats théoriques ci-dessus reposent sur le modèle dit "à une masse" des lèvres présenté au chapitre 3.1. Ce modèle est élémentaire voir simpliste. Si des observations "in vivo" sur les musiciens ou sur la bouche artificielle (vidéo 5) ne mettent pas clairement en évidence un mouvement à deux degrés de liberté, des mesures effectuées sur des lèvres vibrantes de trompettiste tendent à prouver l’existence d’oscillations mécaniques qu’un modèle à une masse ne peut décrire (excursions suivant les deux dimensions dans un rapport 1 à 4). Ceci milite dans le sens d’un modèle « à deux masses » directement inspiré du modèle de cordes vocales utilisé en parole ; ceci est séduisant car permettant une interprétation instantanée du "buzz" des lèvres seules (dans le modèle à une masse, la contre-réaction acoustique du résonateur ou la prise en compte d’une instationnarité de l’écoulement interlèvre est indispensable pour la déstabilisation oscillante)... Mais il n'est pas évident que les lèvres vibrent de la même manière en situation de jeu avec instrument et en "buzz" lèvres seules. Par ailleurs la prise en compte d'un deuxième mode de vibration des lèvres, si elle peut permettre d’ajuster les résultats théoriques aux résultats expérimentaux des figures 33 et 34, n’est pas indispensable pour interpréter au moins qualitativement les expériences présentées. Enfin la complication du modèle par la prise en compte d’un oscillateur supplémentaire multiplie le nombre de paramètres difficiles à estimer expérimentalement, ce qui rend la validation de ce type de modèle très délicate.

 

3.3- Simulations temporelles

 

3.3.1- Avant-propos

 

Dans un premier temps le fonctionnement des cuivres a été analysé au regard de l’instrument lui-même (chapitre 2), toutes les conclusions ont été tirées directement ou indirectement à partir du concept d’impédance d’entrée, concept acoustique reposant sur un certain nombre d’hypothèses simplificatrices (acoustique linéaire, propagation en ondes planes, analyse en régime permanent sinusoïdal). Certaines limites de ces hypothèses ont été analysées : inadéquation des ondes planes avec la propagation dans les pavillons, inadéquation de l’acoustique linéaire dans le cas des sons cuivrés. Dans un second temps, le problème de la modélisation des lèvres vibrantes et de leur couplage avec le résonateur acoustique a été abordé (chapitre 3.1). Une étude de stabilité linéaire de la position d’équilibre d’un modèle certes élémentaire mais complet a permis de comprendre en quoi les cuivres ne sont pas des instruments à son fixe, par l’influence des paramètres mécaniques du modèle de lèvres sur la fréquence des notes jouées par exemple (chapitre 3.2).

 

Dans cette étude, les fréquences de seuil sont toujours supposées proche et contrôlées par une résonance acoustique bien déterminée, cela exclut l'analyse de régimes d'oscillation tels que les "notes pédales" : ces notes correspondent au partiel 1 (note la plus grave) obtenues avec un résonateur donné. Or, si pour les résonateurs à dominante conique tels que le bugle, le sib pédale a sa fréquence fondamentale qui se cale sur la première fréquence de résonance du résonateur, ce n’est pas le cas pour les instruments à dominante cylindrique (voir le cas de la trompette figure 10, la première fréquence de résonance a une valeur une quinte en dessous du sib joué). Il en est de même entre le saxhorn basse et le trombone. De même les régimes d’oscillations quasi périodiques tels que les multiphoniques ne peuvent être appréhendés.

 

Dans l’approche de stabilité linéaire l'analyse est faite pour chacune des résonances indépendamment les unes des autres, les effets des résonances d'ordre supérieur dans l'oscillation ne sont pas pris en compte. Les éléments de modélisation des oscillations "forte amplitude" ne sont également pas pris en compte. Les effets très spectaculaires de la propagation non-linéaire sont pourtant essentiels pour une synthèse réaliste de "sons cuivrés" (cf chapitre 2.2), les effets non-linéaires localisés (grain de l'embouchure, pavillon) sont à ce jour encore mal connus, la prise en compte d'un modèle de choc réaliste au moment de la fermeture des lèvres est sans doute également importante.

 

            L’outil de simulation numérique construit à partir d’un modèle complet tel que celui présenté au chapitre 3.1 permet d’analyser des régimes d’oscillation large amplitude, de plus le modèle physique support de la simulation peut être compliqué afin d’être plus réaliste (voir l’exemple de la prise en compte de la propagation non-linéaire pour la simulation de sons cuivrés au chapitre 2.2). Les solutions des simulations numériques obtenues dans le domaine temporel peuvent être écoutées : l’outil de simulation numérique appliqué à l’acoustique peut devenir alors un outil de création artistique (synthèse musicale appelée « synthèse par modèle physique » par opposition à la « synthèse du signal qui lui est antérieure et beaucoup plus répandue).

 

3.3.2- Principes et exemples

 

Quelques principes

Le but des simulations numériques est de rechercher des solutions approchées au système d’équations représentant le modèle physique du système complet étudié. Les équations opèrent toutes dans le domaine temporel, le temps continu y est échantillonné et les équations différentielles sont discrétisées suivant des schémas numériques divers et variés.

 

Pour ce qui concerne le modèle physique de cuivres tel que présenté au chapitre 3.1, le résonateur acoustique est caractérisé par une équation dans le domaine fréquentiel :

 .

Ce produit dans le domaine fréquentiel devient une relation de convolution dans le domaine temporel où g(t) la réponse impulsionnelle du résonateur est obtenue par transformée de Fourrier inverse de l'impédance d'entrée Z(jw) :

 .

En pratique le modèle se résume à un faible nombre d’équations avec autant d’inconnues, typiquement la pression acoustique et la vitesse acoustique (moyennée sur la section) à l’entrée du résonateur (raccordé avec la sortie de l’excitateur), l’ouverture inter lèvres. Les paramètres du modèle peuvent être lentement variables dans le temps (la pression dans la bouche Po sera une fonction croissante du temps s’il s’agit de simuler un crescendo par exemple). 

 

La réponse impulsionnelle du résonateur a un support temporel très grand. Dans le domaine discret la réponse impulsionnelle a un grand nombre d’échantillons non-nuls, et la convolution implique alors un très grand nombre de calculs élémentaires. Même si le souci de calcul temps réel n’est pas impératif, cela entraîne des temps de calcul rédhibitoires. Ce problème est contourné en utilisant la fonction de réflexion r(t) à la place de la réponse impulsionnelle, le support temporel de r(t) étant beaucoup plus petit. Elle est définie comme la transformée de Fourrier inverse du facteur de réflexion R défini dans le domaine fréquentiel à partir de l’impédance d’entrée réduite (adimensionnée par l’impédance caractéristique) comme suit :

 .

Le facteur de réflexion est égal au rapport entre l’onde de pression retour P- sur l’onde pression aller P+ (la somme de ces deux termes de pression est la pression acoustique), dans le domaine temporel, cette relation devient également un produit de convolution.

 

Cette méthode aboutit in fine à la pression temporelle à l’entrée de l’instrument. Cela est suffisant si on s’intéresse à la physique des choses, au comportement dynamique du système. Cela est insuffisant si on veut synthétiser le son produit par l’instrument, il nous faut le son rayonné dans l’espace extérieur. En pratique, la méthode la plus simple consiste à opérer un filtrage passe-haut sur le signal interne pour avoir un signal externe réaliste (voir le cours « bois »).

 

Résultats

            Un très grand nombre de méthodes de simulations et de résultats appliqués aux instruments à vent en général, et aux cuivres en particulier sont publiés dans la littérature spécialisée ; nous avons déjà illustré notre propos par un exemple (audio 1 au chapitre 2.2). Nous terminons ce document par quelques exemples de simulations de cuivres reposant sur le modèle physique de cuivres élémentaire présenté au chapitre 3.1, les paramètres du modèles étant issus de l’expérience (les fonctions de réflexions utilisées sont calculées à partir d’impédances d’entrée mesurées sur des cuivres réels).

 

            Le premier exemple est une simulation de crescendo de trombone, Po est une fonction croissante du temps. La simulation effectuée à paramètres de masque constant met en évidence une légère variation de hauteur de la note (audio 2) ; en pratique le tromboniste adaptera son masque pour que la note conserve la même justesse au cours du crescendo. Le second exemple est une série de simulations correspondant à différents paramètres de masque (exemples correspondant à différentes valeurs de la fréquence de résonance mécanique fL encadrant la valeur d’une fréquence de résonance acoustique fA), pour un résonateur donné et une valeur de Po fixée. Parmi les notes simulées, une d’entre elles est plus intense, elle correspond à la note « la plus naturelle à jouer » (audio 3). Autrement dit, cet exemple illustre comment le musicien peut choisir de corriger la hauteur d’une note quitte à ce qu’elle soit plus difficile à jouer et légèrement détimbrée. Le troisième exemple est la simulation d’une même note jouée à deux doigtés différents : le mi médium du trombone joué comme partiel 3 de la position de coulisse numéro 2, et comme partiel 4 de la position 7  (audio 4). Le quatrième et dernier exemple est une simulation d’arpège partant du la, pour deux instruments : un trombone ténor et un saxhorn basse (audio 5).

 

La simulation numérique a été utilisée pour étudier et valider des modèles physiques, pour développer des outils de synthèses. Les derniers exemples de simulation montrent qu’elle peut également être utilisée dans un but d’aide à la facture instrumentale. Pour cet objectif il n’est pas forcément question d’obtenir des sonorités très réalistes (dans ce dernier cas la chaîne audio de restitution sonore est au moins aussi importante que la simulation numérique elle-même), mais d’entendre si les sons simulés sont capables d’exhiber des différences perceptives significatives, corrélées à des différences de conception de perce des instruments (audio 6).

 

            Discutons brièvement de régimes d’oscillations particuliers correspondant au mode de jeu « multiphonique ». Ce mode de jeu permet à l’instrumentiste à vent d’utiliser son instrument en mode non plus mélodique mais harmonique : il donne l’impression à l’auditeur qu’il joue plusieurs notes en même temps (typiquement 3 ou 4). Pour ce faire, le cuivriste joue (« buzz ») une note et en chante une autre en même temps. Des régimes d’oscillations quasi-périodiques résultent de l’auto oscillateur (cuivre joué par « buzz ») excité en oscillations forcées (chant). De tels comportements dynamiques ont été étudiés en détail en physique des oscillateurs dans le cas académique de l’auto oscillateur de Van der Pol excité en oscillations forcées sinusoïdales. Nul doute que des simulations temporelles telles que celles décrites plus haut permettraient d’obtenir des « multiphoniques », la surpression dans la bouche Po n’étant plus une quantité constante mais une quantité oscillante autour d’une surpression moyenne, ceci à la fréquence de la note chantée. Notons que le mode de jeu multiphonique décrit ci-dessus est différent du mode de jeu classiquement utilisé par les saxophonistes et flûtistes. Ces derniers utilisent des doigtés spécifiques pour lesquels des régimes d’oscillations quasi périodiques sont directement obtenus sans avoir à chanter dans l’instrument. Ces doigtés spécifiques correspondent à des perces provoquant des résonances très inharmoniques défavorables à l’existence de régimes périodiques stables et favorables à la génération des régimes quasi-périodiques. Pour finir, citons l’exemple de la « note pédale » tel qu’il a été discuté par Bouasse. La note pédale est la note la plus grave (partiel de rang 1) jouable avec une perce donnée. Elle a ceci de spécifique que sa fréquence de jeu peut être soit égale à la première fréquence de résonance du résonateur (cas des cuivres à dominante conique comme le bugle), soit être différente (cas des cuivres à dominante cylindrique comme la trompette ou le trombone). Dans ce dernier cas, si la note pédale jouée est un Sib première note de la série harmonique des partiels, la première fréquence de résonance est beaucoup plus basse, typiquement une quinte plus basse c’est à dire un Mib. Comme signalé plusieurs fois dans le chapitre 2, la première fréquence de résonance est complètement en dehors de la série harmonique (valeur très différente de 1 dans les diagrammes d’inharmonicité). A notre connaissance les simulations temporelles ne retrouvent pas la note pédale jouée habituellement, à savoir le Sib, mais l’autre non-jouée, à savoir le Mib. D’ailleurs est-ce que cette dernière est jouable en pratique ?  La réponse est oui, à condition de remplacer l’embouchure de trombone par un bec de clarinette !

 

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Remerciements :

Je tiens à remercier les collègues qui à un moment ou un autre m’ont aidé dans la rédaction de ce document, ou plus généralement ont collaboré à des travaux de recherche sur les cuivres. Merci à  Murray Campbell, John Cullen, Jean-Pierre Dalmont, Véronique Dubos, Bruno Gazengel, Mico Hirschberg, Jonathan Kemp,  Bertrand Lihoreau, Vincent Méserette, Régis Msallam, Arnold Myers, Xavier Pelorson, Jean-François Petiot, Sylvie Ponthus, Sébastien Roux.

Joël Gilbert, Le Mans, novembre 2000.